
À la source de mon changement de paradigme
Il y a des lectures qui bousculent un peu… et d’autres qui renversent tout.
Le jour où je suis tombé sur ce passage de Mind is a Myth d’U.G. Krishnamurti, quelque chose s’est fissuré. Pas un petit éclair de compréhension douce, mais un choc frontal avec une évidence : et si tout ce que j’avais cru sur la spiritualité, la bonté, le « devoir être » n’était qu’un ajout artificiel, une violence subtile faite à mon corps ?
U.G. ne cherche pas à rassurer. Il ne vend pas un chemin vers un idéal. Il montre, sans ménagement, que cette quête même – vouloir être « meilleur », plus aimant, plus compatissant – est un effort inutile qui ne fait qu’ajouter de la tension à ce que nous sommes déjà.
Ce texte m’a fait comprendre que la véritable libération ne passe pas par l’ajout de valeurs, de techniques ou de vertus, mais par la fin de cette poursuite.
Ce fut le point de bascule : l’instant où le décor s’est effondré, où les injonctions spirituelles ont perdu leur autorité, et où j’ai commencé à voir la vie sans filtre.
C’est à partir de là que Pas de chemin a pris forme : un espace pour explorer, non pas comment devenir quelqu’un d’autre, mais comment voir qu’il n’y a rien à atteindre.
« Le corps ne s’intéresse absolument pas aux questions psychologiques ou spirituelles. Vos expériences spirituelles tant louées n’ont aucune valeur pour l’organisme. En réalité, elles sont douloureuses pour le corps. L’amour, la compassion, l’ahimsa, la compréhension, la béatitude — toutes ces choses que la religion et la psychologie ont placées devant l’homme — ne font qu’ajouter à la tension du corps. Toutes les cultures, qu’elles soient orientales ou occidentales, ont créé cette situation déséquilibrée pour l’humanité et ont transformé l’homme en un individu névrosé. Au lieu d’être ce que vous êtes — méchant — vous poursuivez l’opposé fictif qu’on vous a mis devant — la gentillesse. Mettre l’accent sur ce que nous DEVONS être ne fait qu’engendrer une tension, donnant plus d’élan à ce que nous sommes déjà en réalité. U.G. »

Objectivement — en mettant de côté l’adhésion ou le rejet — ce texte d’U.G. Krishnamurti est radical et cohérent dans sa logique interne, mais aussi délibérément provocateur.
Voici comment je l’analyse :
– Point central :
U.G. affirme que les idéaux spirituels et moraux ne sont pas neutres, mais intrusifs et violents pour l’organisme.
Selon lui, l’effort constant pour devenir « meilleur » crée une tension psychophysique, parce qu’il oppose ce que nous sommes à ce que nous devrions être.
– Rupture avec la tradition :
Dans la plupart des philosophies et religions, on considère que l’être humain doit évoluer vers un idéal (amour, compassion, paix intérieure).
U.G. inverse cette idée : poursuivre l’idéal, c’est déjà se couper de soi.
– Provocation assumée :
Il ose dire « au lieu d’être ce que vous êtes — méchant — vous poursuivez l’opposé fictif — la gentillesse ».
Ce n’est pas une apologie de la méchanceté, mais un refus de l’hypocrisie de l’idéal imposé.
– Conséquence logique :
En supprimant l’idéal, on enlève aussi la lutte intérieure.
Ce n’est pas une recette de bonheur, mais un constat : le corps fonctionne mieux sans surcharge de concepts sur ce qu’il devrait être.
– Il attaque la racine, pas les branches
Beaucoup de discours spirituels ou de développement personnel critiquent certaines attitudes (l’ego, la colère, l’attachement) mais proposent ensuite un « chemin » pour les transformer.
U.G. coupe directement à la base : c’est le chemin lui-même qui est le problème.
Cela provoque un effet de sidération mentale : si le moyen de guérir est la cause de la maladie, alors toute la structure de croyance vacille.
– Il brise la promesse d’un futur meilleur
Le cerveau humain fonctionne souvent avec un « contrat tacite » : Si je fais des efforts aujourd’hui, je deviendrai quelqu’un de meilleur demain.
Ce texte refuse ce contrat et dit : il n’y a pas de “demain” où vous serez meilleur.
Psychologiquement, c’est déstabilisant… et libérateur, car cela retire d’un coup le poids de la dette morale envers un idéal.
– Il valide ce que nous ressentons en secret
Beaucoup de gens, malgré leurs efforts, ressentent au fond d’eux : « Je n’y arrive pas. » – « Je ne suis pas aussi aimant ou compatissant qu’on me dit de l’être. » – « Ça me fatigue. »
Ce texte légitime cette fatigue et cette résistance, en disant : c’est normal, c’est le corps qui rejette la surcharge.
Cette reconnaissance est un soulagement, presque une permission d’arrêter de lutter.
– Il fait tomber la façade
En disant : « Au lieu d’être ce que vous êtes — méchant — vous poursuivez la gentillesse », U.G. force à regarder l’ombre directement.
Ce n’est pas pour l’éradiquer, mais pour cesser de se définir par son contraire idéalisé.
Sur le plan psychologique, cela ouvre une porte vers l’acceptation radicale de ce qui est.
– Il ne propose pas de substitut
La plupart des critiques finissent par offrir une nouvelle méthode, un nouveau “meilleur chemin”.
U.G. ne laisse pas cette échappatoire.
Cela crée un vide — inconfortable, mais fertile — où la pensée cesse de tourner autour de la question « comment devenir ? » et commence à voir « ce qui est » sans but caché.
En résumé : ce texte est puissant parce qu’il enlève d’un seul coup la béquille psychologique de l’idéal, et qu’il ne la remplace par rien. Ce vide peut d’abord sembler vertigineux, mais c’est aussi là que s’ouvre un espace de liberté réelle, non programmée.